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MILAN MARINKOVIĆ CILE porte un oeil lourd d’angoisse de vivre sur notre monde. Et, cependant, son allure est joviale, attentive, sympathique et charmante. II est l’exemple même du véritable dédoublement de personnalité que représente un artiste. (...) Le peintre, lui, affirme, au grand jour, le theatre de sa dualité. Ainsi les toiles de Cile mettent en scène cent personnages, qui viennent du Paradis ou du Purgatoire, de l’Enfer même peut-être, et qui sont écla-tants de vie ou de vice, qui nous interpellent et nous répondent, nous provoquent et nous amusent. Tous nous parlent d’un «ailleurs» mystérieux, au-delà du Temps et de l’Espace, en extériorisant des désirs fous, des aspirations de rêve, des volontés, des situations, des comportements, des formes et des couleurs hors norme, qui constituent une dimension qui est peut-être celle de l’onirisme mais qui, en tout cas, est une puissante démonstration d’un grand talent plastique.

André PARINAUD Paris, le 8 mai 1996

 

Paris, le 16 juillet 2000 peintre

Milan Marinkovic, dit Cile

Monsieur Cile Marinković vit en France depuis 1992. Sa première exposition ici remonte à 1976. Le travail de cet artiste s’inscrit dans l’héritage des mouvements importants du XX eme siècle,l’Expressionnisme en particulier, qui ont fait la qualité de l’art européen et la reconnaissance de Paris comme une scène internationale de premier plan.

Bernard Goy Directeur FRAC Ile de France

 

CILE OU L’EXPRESSIONNISME SLAVE

De tous les pays d’Europe, la France est certainement le plus rétif, le plus fermé à l’expressionnisme, aux antipodes de sa sensibilité esthétique, de sa tradition picturale, fondée sur la mesure, l’équilibre, l’harmonie. Aussi les peintres qui se réclament de cette esthétique sont-ils toujours remarqués et reconnus avec retard. Il en a été ainsi des expressionnistes allemands, autrichiens, flamands, mais aussi d’artistes installés en France, tel Soutine. L’expressionnisme slave est encore ici « terra incognita ». Raison de plus pour s’intéresser à Cille, peintre serbe, qui après un premier séjour à Paris en 1977 a choisi de s’y établir en 1992.

Si son œuvre a subi des inflexions et a été sensible à l’air du temps, elle reste d’une remarquable cohérence par son expressivité, sa puissance, sa violence même.

Dans les années 70, au sortir de l’académie des Beaux-arts de Belgrade, Cille, comme beaucoup d’artistes de sa génération, s’inspire du pop art. Il pratique une peinture en aplat aux couleurs acidulées, qui n’est pas sans rappeler Hockney ou Kitaj, avec pour motif des scènes de la vie quotidienne : scènes de plage, de café, motocyclistes, femmes aguicheuses cheveux au vent. Il dépeint l’univers familier de la bohème belgradoise. Optimisme de la jeunesse, climat d’insouciance porté par le vent de la modernité. Dans la frénésie de la création, il se sert parfois de matériaux de fortune : toile de chaise longue ou plaques isolantes en contre plaqué perforé.

Au cours des années 80 la satire joyeuse et complice d’une jeunesse à la mode va céder la place à un expressionnisme de plus en plus grinçant et inquiet. Des personnages aux formes lourdes, mal dégrossis, parfois simplement ébauchés, brossés à larges traits avec fièvre, avec rage. Des visages fermés, au regard fixe, souvent figés dans un rictus.  Des êtres déformés ressemblant à des pantins désarticulés, des enfants à l’air grave, ayant perdu toute innocence, immobiles comme des poupées. La palette va s’assombrir, les couleurs se fondre, s‘étouffer même. On songe à Soutine. Est-ce  pour l’artiste le passage à la maturité ou un pressentiment de la guerre civile qui va bientôt déchirer la Yougoslavie, avec son cortège d’angoisses et de souffrances ?

Après son installation à Paris en 1992, sa peinture ne gagnera pas en optimisme mais en dynamisme. Elle sera plus agitée, plus nerveuse, plus informelle aussi. Cille construit des scènes à personnages multiples, parfois d’un érotisme sulfureux où il tourne en dérision le jeu des apparences, dépeint avec cruauté un théâtre social où chaque acteur se pavane dans sa grotesque solitude. Ici ou là, Cille emprunte à la trans-avant-garde. Pourtant on ne retrouve chez lui ni cette élégance de surface, ni ce goût du jeu  propre aux peintres italiens. Seul demeure le persiflage, lesté d’une sourde mélancolie. Le grotesque flirte sans cesse avec le tragique.

On a parfois rapproché la peinture de Cille de l’expressionnisme allemand pour sa violence et sa critique acerbe de la société. S’il y a bien outrance et exacerbation des sentiments, on ne trouve pas chez lui ce lyrisme propre aux artistes germaniques. En revanche une profonde humanité, une sensibilité d’écorché vif qui se dissimule sous le masque du burlesque et de la dérision, une vitalité un peu folle où l’enthousiasme alterne avec le désespoir, le rire avec les larmes.

Par ses thèmes traditionnels : le café, la prostituée, le cycliste, le clown, la peinture de Cille rappelle la peinture expressionniste du début du XX siècle. Elle est profondément enracinée dans la « vieille Europe », celle d’avant la société de consommation et de la mutation technologique, mais elle s’exprime dans une langue postmoderne avec un fort accent slave.

YVES KOBRY

 

On dit que le peintre Milan Marinkovic CILE fait partie de l’aile modérée du courant artistique de la Nouvelle Figuration de Belgrade qui est un prolongement de la tradition expressionniste. Il est vrai que Cile emploie dans ses peintures tout le répertoire classique des expressionnistes: couleur véritable, forme simplifiée, espace réduit à la surface, mouvement gestuel, couches abondantes de peinture...A propos du style de Cile, quand on cite sa peinture, il est évident que les questions relatives au sujet-matière, au monde imaginaire reflété et sa mythologie, sont beaucoup plus importants que leur forme d’expression.

Cile, bien que dénué de prétentions critiques conscientes dans son observation, dévoile la personnalité de la jeune génération, accomplissant ainsi de manière indirecte une réflexion critique. Cile Marinkovic est certainement le seul authentique interprète du monde intime des jeunes marginaux qui font partie de la génération incohérente des punks. Il est le véritable portraitiste de ses personnages: souriantes jeunes femmes du quartier de Crveni Krst, frivoles travestis de Paris, drogués, rockers hirsutes et badauds de la rue Knez Mihailova.

Djordje Kadijević Critique d’arT

 

En regardant les oeuvres de Cile

«Le diable, qui vous savez est un grand coloriste» Balzac

Dans l’oeuvre de Cile la couleur nous fait la peau. Mais à ce dépeçage, il faut de l’art et de la règle. La ferveur sacrificielle ou la fureur sacrilège imposent qu’on sache bien comment porter les coups. Au sol, au mur s’accumulent les dessins, les croquis qui prouvent la danse ininterrompue d’un trait maîtrisé en quête de figures. Il faut voir près de soi l’artiste laisser venir en quelques instants de nombreux crayonnés d’où surgissent divers processions et arrangements de corps, de faces et de masques.Ainsi portée par la circulation du dessin et l’entrelacs quasi automatique des traits préparatoires, la couleur est poussée jusqu’à son paroxysme, à la limte d’une puissence de destruction qui condamne les formes trop assurées et vertueuses.

Personnellement, il me semble que Cile construit son oeuvre sur la menace toujours probable de la déstruction, de l’engloutissement ou de la régression. Voir dans l’oeuvre cette obsession de la matière picturale fracturee, rompue, fissurée et les rictus béants, les orbes et bouches noires, les orifices écartés. La couleur frénétique et décadente serait-elle donc une force de protestation contre le tragique éprouvé de l’existence et le grotesque des petites leçons de ces moralistes «aux petits pieds»?

Au tableau, la couleur marquerelle fait parader au soleil tout un théâtre de putains fardées, des poupées borgnes et des masques indifférents. Viennent aussi nous saluer les sexes incertains, les visages boursouflés des mauvaises habitudes, les demi-mondains au regard fauve. Visiblement, l’artiste nous avance jusqu’ à cette heure bleuâtre de la nuit tourbillonnaire et creusante, celle de fin de parties, des fêtes galantes désillusionnées qui deviennent un séjour pour les masques crevés, les visages perdus et les revenants d’un monde interlope.

L’oeuvre de Cile, c’est le chaos devenu chair et la mélancolie devenue couleur. Avez-vous remarqué que ses apparitions imparfaitement arrachées à la nuit qui empreuntent la voie de la peinture, nous dévisagent?

L’art ne sauve de rien, mais exerce encore sa puissance pour nous souligner ce qui nous perd.

Jean Rodolphe Loth, Paris, 2002

 

 

De la peinture envers et contre tout

L’art de Cile Marinkovic s’inscrit dans la grande tradition expressionniste européenne, et fait directement référence aux premières années du XXe siècle, à l’art de la Die Brücke, nom du groupe formé en 1905 à Dresde à l’origine de ce courant artistique. Issus de cet Est de l’Europe donc, les représentants les plus illustres se nomment Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff, ou Nolde ; leur style constitue un environnement prolifique dont les origines se situent également à l’Est, dans le voisinage de cette Mittel Europa, ce vaste Empire austro-hongrois qui a permis et fécondé d’heureux métissages. Il n’est pas inutile de rappeler que leur démarche est incontestablement liée à l’histoire, la grande Histoire, celle de la Première-Guerre mondiale, dans un contexte tragique dont les visions d’horreur vont culminer quelques décennies plus tard. L’art de Cile se manifestera quelques décennies encore plus tard, au crépuscule de ce siècle si terrifiant. Sa peinture ne pourra donc pas faire l’économie des déchirements et des atrocités perpétuées par les siens, comme une répétition macabre du « plus jamais ça ».

Comment peindre alors dans une sérénité qui n’existe nulle part ? Aussi est-il, comme Soutine, rebelle à toute influence et son art ne s’exprimera que pour témoigner de ce chaos pathétique que livre la vie.

Cile est en effet comme possédé par la peinture, une peinture déclarative dominée par la couleur et la matière. Le dessin, cette « première pensée », dans son sens originel d’étude, d’étape, de phase préparatoire, n’a pas de place ; ce dessin donc est littéralement englouti par la pâte colorée, agitée par une touche bien épaisse, envahissante et dense qui interdit tout contour. Cile ne peut pas ne pas peindre. Soumis à l’ordre de la démesure, ou plus exactement à son désordre, il ignore l’art du peu. Totalement tenu par la peinture auquel il ne sait pas résister, l’artiste est dépassé par l’urgent besoin de peindre, comme il l’était, à ses débuts, par la nécessité de se mettre lui-même en scène lors de bruyantes performances.

Digne des dessins de Tadeuz Kantor, pour s’ancrer dans cette partie de l’Europe si sensible à la vision d’un monde kafkaïen, nourrie de cette frénésie expressive empreinte de dérision, l’artiste semble n’être plus que le spectateur d’un théâtre cruel qui opère seul, en défilé de marionnettes, de masques comme au carnaval, de créatures comme au cinéma qui, dans une sorte de travelling, sont happées par les yeux du peintre conduits par ses mains et ses outils d’homme de l’art. Saisies, pétrifiées, ces figures outrancières et burlesques ont su capter d’étranges expressions, celle de la peur notamment, sans doute parce que déjà soupçonnées d’intentions plus ou moins diaboliques ou maléfiques, en tout cas inavouables : il y a du Soutine dans cette peinture-là ! Cette gigantesque fresque, développée en d’innombrables tableaux, témoigne d’une humanité à résonance plus tragique que comique. Satire grinçante qui ne le rend pas dupe mais inquiet et écorché vif à son image, celle d’un pantin vif et agité au visage émacié réchauffé par une chevelure rougeoyante et par des yeux si intenses et profonds qu’ils ne peuvent dissimuler l’envie de se brûler pour vivre et d’excéder tout contrôle. Cette intensité et vigueur du regard est immédiatement perceptible dans sa plastique et transcrit comme un prolongement ou en écho dans le regard de ses personnages (...).Cile, tout en représentant des sujets spécifiques, se fait l’acteur du non-événement, et poursuit vaille que vaille, sa pratique de peintre, de tableaux en tableaux, sans se soucier des vents et marées, envers et contre tout.

Claire Stoullig, Directeur du Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon

 

LA FEMME

Elle, son inspiration, sa muse, sa déesse, est mise a nu, fidèle à elle-même plongée dans un univers imaginaire, indéchiffrable, mais réel, elle garde sa valeur dans chacune des actions qu’elle entreprend. Mais l’ironie chez Cile est que cette femme est aussi un fille, douce, joyeuse, innocente et pleine d’énergie et de vie.

TECHNIQUE et UNIVERS

Cile construit l’univers, pose les corps, leur structure, qu’il va détruire peu à peu par la couleur, puis les reconstitue par le contour et les masses de peinture. Le rapport des masses qui est souvent équilibré, le contour est de plus en plus épais encercle la forme et l’aboutit.Le geste trop rapide, rude, brutal, fort, témoigne de toute la force et l’énergie par laquelle Cile crée, par l’intermédiaire de son pinceau, dans l’élan et l’excitation qui l’emmènent parfois très loin. Cependant son univers est parfois surréaliste, dans l’action qu’entreprennent les personnages, ces déesses au regard sombre et imposant, ainsi que l’endroit où elles se trouvent, qui par déclinaison varie de tableau en tableau. L’espace occupé romps avec la composition traditionnelle de la toile, ce qui donne un caractère révolutionnaire à ses œuvres et personnages, ce que l’on pourra aussi remarquer sur la plupart des œuvres de Van Gogh, ainsi que sa manière d’occuper et composer l’espace par la touche du pinceau. Le rythme de la gestualité de la touche, de la masse et de la violence chromatique, varie.

L’œuvre de Cile devient alors un champ coloré, par définition figuratif et abstrait par son univers, qui donc n’attire pas l’œil sur un point précis.

La narration laisse place à l’action par une relation picturale constante.

LE CORPS et LA VIE

Le corps est attaqué, comme la toile qui le fait vivre. De ce fait, Cile ne cherche pas le beau mais le vrai. La couleur est la vie, la nourriture et l’air que respire l’artiste, ce qui nous absorbe en totalité lorsque l’on plonge dans l’espace de l’exposition de ses œuvres.

Cette approche peut être un défoulement, une libération d’images emprisonnés dans son esprit, que Cile évacue sur son support.

Ainsi, son œuvre est l’histoire de sa propre vie, de sa manière de penser et d’être au quotidien. 

Le corpus des œuvres de Cile est l’élixir de vie et d’énergie, et la mélancolie n’est qu’apparente.  L’image de la vie est fatale, mais Cile possède une manière subtile de nous plonger dans une tragi-comédie en couleur, très vive qui fait piège.

Le XX ème siècle est la période de la déformation du corps ainsi que de celui du jeu de l’espace qu’occupent les personnages. La première déformation arrive avec les fauvistes, puis avec Picasso, et les cubistes et les futuristes qui plongent le corps dans l’espace tout en faisant de la forme et du fond une unité totale, compacte. Puis au sein du groupe Cobra  Appel introduit la couleur et le contour dans le corps déformé mais enfantin. Puis De Kooning, déforme ses Femmes en introduisant des touches de peinture violentes qui font perdre le sujet entre figuration et abstraction. Et Cile reprend le cours de cette direction picturale.

L’HOMME et LE PEINTRE

Cile est observateur et se met en scène à travers la figure masculine symbolique qui est présente sur de nombreuses toiles comme une ombre ou bien participant à l’action. Il regarde, analyse et transpose sur la toile la vision qu’il a de ce qui l’entoure.

C’est cette maladie de création qui fait  vivre le peintre, et plus il vit, plus il peint. Car l’artiste en tant que créateur est Dieu.

Ainsi Cile créa la femme, ni dans le passé, ni dans le futur mais dans la totale réalité de l’instant.

Danica Marinković